La mission d’un interprète est certainement de nourrir une relation privilégiée avec une œuvre et d’en faire profiter le public. À commencer par dissocier l’œuvre de l’histoire qu'elle connaîtra.
Bach, âgé de 55 ans, fait paraître Clavier Übung se composant d’une Aria avec diverses variations pour le clavecin à deux claviers en 1741.
De même que chercher quelque chose d’anglais dans les Suites Anglaises relève du non-sens, nommer l’œuvre les Variations Goldberg nous amène implicitement à nous demander si un adolescent de quatorze ans du nom de Johann Gottfried Goldberg est en mesure d’exécuter une partition si difficile. Cette dénomination consacrée de l’œuvre met le doigt sur sa difficulté technique(certes réelle mais qui ne définit pas la pièce) et la promet à une destinée légendaire, mythique, aux confins de la réalité.
En concert, les Variations se regardent autant qu’elles s'écoutent. Déploiement d’inventivité digitale, exploration virtuose des claviers sans cesse renouvelée, l’œuvre est défi pour les pianistes et clavecinistes, ravissement pour le spectateur. Bach utilise pour la première fois au clavecin de manière si affirmée, presque à l’extrême, ces croisements de mains, ces martèlements d’accords, ces glissades chromatiques, ces arpèges rapides, et explore comme jamais l’indépendance des claviers.
Il faut un sacré clavecin pour une telle pièce. Un vieux compagnon qui fait envie, qui répond à la gourmandise et alimente le jeu. Il y a dix ans, je me suis mis martel en tête à trouver « le » clavecin pour Bach. Disons que j'en ai rencontré les qualités nécessaires plus que l’instrument unique : équilibre, dynamique et plans sonores.
Le clavecin que je connais le mieux est un clavecin français deux claviers d’après Goujon, fait par le facteur Émile Jobin en 1983. Il est d’esthétique française et jamais Bach n’a entendu ni touché tel instrument. Mais ce clavecin est l’œuvre d’un facteur d’aujourd'hui qui a en tête l’orgue et le souci de la polyphonie. Un Français pas comme les autres, peut-on dire.